Un endroit charmant

Maerlyne terminait enfin son voyage. Depuis des semaines sur les routes et dans les bois, elle était enfin arrivée à Noctaë, et était vraiment fourbue. Mais en habituée des périples, elle tenait absolument à avoir un petit chez-elle, en dehors de la ville, qui pouvait se transformer en refuge en cas de besoin, et qui lui fournirait sinon une retraite tranquille pour méditer.

Ce coin me semble parfait. Essayons de trouver un bon endroit pour s'installer confortablement, enfin... mieux que précédemment.

Maerlyne s'envola jusqu'aux branches basses de l'arbre le plus proche et commença l'escalade jusqu'à la cîme. Le panorama était exceptionnel, et son oeil exercé trouva rapidement ce qu'il cherchait.

Là-bas, un torrent... qui semble jaillir de ces collines, plus loin. Et il serpente ensuite parmi les bois... Il doit y avoir quelques galeries dans ces collines, ou du moins quelque chose d'approchant. Bref, ce que je cherche!

Ragaillardie, la fée redescendit et vola droit vers le torrent. Prudente, elle sonda les environs, avant de se désaltérer longuement. Puis elle remonta le cours d'eau, en restant vigilante. A mesure qu'elle s'approchait, sa fatigue se faisait ressentir mais elle se fit violence et continua son chemin. Finalement, elle arriva au pied des collines.

Allez, au boulot! C'est maintenant que ca commence vraiment...

Maerlyne s'envola de nouveau et explora consciencieusement les environs. Elle finit par découvrir une ouverture grossière à flanc de colline, vraisemblablement la tanière d'une créature quelconque à en juger par les traces et l'odeur. Une question s'imposa rapidement à elle : comment faire partir l'actuel locataire?

Tout d'abord, il faut savoir s'il est ici, ou parti chasser. Entrer ne me paraît pas une bonne idée... Réfléchissons.

Maerlyne accorda au problème un temps raisonnable, avant de sourire et de s'envoler au-dessus de la tanière. Elle commença une incantation à voix douce, puis regarda fixement le sol devant elle et lança un dernier mot d'une voix plus forte. Aussitôt, des cris de bétail se firent entendre, d'abord légers, et de plus en plus forts. Rapidement, la petite fée sentit le sol vibrer sous ses pieds et des bruits inquiétants se firent entendre à l'intérieur de la tanière.

Enfin, une grande créature, semblable à un grizzly géant, les yeux plissés et furieux, le poil noir et hirsute, les griffes raclant la pierre et la terre, grognant de rage et de dépis, sortit au grand jour. Maerlyne s'envola doucement et se posa un peu plus haut à flanc de colline, avant de contempler la bête, qui cherchait ce repas qu'elle entendait sans le voir. Sa rage augmentait avec sa frustration, et il fallait agir rapidement.

Maerlyne réfléchit rapidement :

Je ne m'attendais pas à un tel animal... Les paysans de l'autre fois m'avaient pourtant prévenus que ce genre de créatures existait dans la région, mais venant de rampants avinés, je les avais à peine écoutés. Et maintenant... comment faire pour le forcer à partir?

L'éloigner en continuant les illusions sonores n'allait pas régler le problème, il allait finir par revenir encore plus furieux et féroce. Hors de questions de l'effrayer avec quelques flammèches magiques, et un sort plus puissant pourrait avoir des conséquences inattendues : une telle bête, si proche de Noctaë, pouvait être habituée aux apparitions fantastiques et manifestations magiques.

Des apparitions... Mais bien sûr! fit Maerlyne à demi-mot, réfléchissant presque à voix haute. Elle commença une incantation visant le grizzly géant, puis en entama une autre, centrée sur elle-même. Elle termina son subterfuge par une nouvelle illusion sonore, réplique du rugissement de la bête furieuse qu'elle regardait.

L'ours, écumant de rage, se retourna brusquement à ce nouveau son, synonyme de concurrent, et se figea. Maerlyne savait pourquoi : elle avait brouillé son esprit au point qu'il inverse leurs proportions respectives, et il voyait une fée gigantesque, de 5 mètres de haut, poussant d'énormes rugissements de colère, alors qu'il avait la désagréable impression d'être revenu à sa taille d'ourson... La fée s'avança posément, tout se jouait à ce moment : si l'animal avait un doute, l'illusion serait rompue et Maerlyne se retrouverait face à un grizzly enragé. Son regard ne dévia pas, et un nouveau cri magique emporta la décision : l'ours recula d'un pas, puis de deux, avant de se retourner et de partir en courant en direction des bois. Maerlyne le regarda fuir, et relâcha le sort dès qu'il fut hors de vue. Elle décida alors d'aller inspecter son nouveau logis, et de placer quelques protections de son cru alentour, au cas où un importun aurait l'idée saugrenue de la déranger.

Ensuite, il allait falloir nettoyer tout ça...

La fée avait visiblement fait un bon choix en jetant son dévolu sur cette caverne : profonde, proche du torrent et de la rivière, de multiples cachettes à sa taille un peu partout, et lui semblait-il un vaste réseau de galeries au fond, sans doute un vestige de l'érosion du passé. Maerlyne se promit d'explorer tout ça rapidement, sa curiosité naturelle vaincue provisoirement par la fatigue. Elle dénicha dans un coin le reste du dernier repas de l'animal qu'elle venait de chasser, et décida de reprendre quelques forces.

Beurk! La viande faisandée, c'est pas mon truc...

Morte de fatigue, elle décida de remettre au lendemain le nettoyage qui s'imposait pourtant d'urgence, et alla chercher dehors de l'herbe et du lichen, pour améliorer un peu le confort très rustique d'une anfractuosité qu'elle avait repérée. Dormir à même la roche ne lui disait vraiment rien du tout...

Elle s'endormit très vite, avec malgré tout l'impression persistante qu'elle avait oublié quelque chose d'important... Quelques heures plus tard, elle se réveilla en sursaut, et l'évidence lui sauta aux yeux : elle avait oublié de protéger l'entrée! Elle dormait à la merci du premier venu... même si ce premier venu aurait dû faire de beaux efforts de discrétion, et être doté d'une vue hors du commun pour la repérer dans le noir complet. Se maudissant pour son oubli, Maerlyne déplia ses ailes et se laissa choir au sol, le long de la paroi rocheuse. En plus, elle allait être obligée de faire du feu, pour voir où elle allait lancer ses protections magiques! Décidément, cela risquait d'être lourd de conséquences... Et bien entendu, lorsqu'elle parvint sans bruit à l'entrée, ses craintes furent ravivées.

Loin devant elle, dans la pénombre des bois, il semblait y avoir quelqu'un... ou quelque chose. Malgré sa grande expérience de la nature, Maerlyne ne put identifier l'ombre qu'elle avait du mal à distinguer à une telle distance, d'autant que le ciel n'était pas très dégagé, et la lumière de la lune et des étoiles était rarement suffisante. La fée retint instinctivement son souffle pour analyser l'impression étrange qui se répandait en elle.

Les créatures de la nuit de la région sont bien différentes de ce que je connais... Mon médaillon de cristal noir réagit d'une manière inhabituelle, et je ne sais pas interpréter ses vibrations... C'est un mystère passionant pour la magicienne que je suis, mais le moment est malvenu pour y réfléchir! Impossible d'aller voir ça de plus près : on dirait bien que cette chose possède une aura magique, et mes illusions seront peut-être moins efficaces... En plus, je peux à peine lancer un sort par cette obscurité, et je suis sûre qu'il va m'entendre incanter. Bref, je suis mal...

Pendant que Maerlyne réfléchissait, l'ombre adopta brusquement une attitude bien différente : elle s'immobilisa et sembla même se cacher, comme si elle redoutait quelque chose. A moins qu'elle n'aie repéré une proie... D'autres mouvements furtifs apparurent alentour, plus proches de la fée. Elle put entendre des craquements de branche morte, et vit soudain des yeux jaunes et inquiétants. Un battement de cils, et ce fut fini : les silhouettes étaient redevenues indiscernables, seuls des yeux entrainés pouvaient les repérer. Des grognements, feulements et autres sons de gorge sourds montèrent dans le silence de la nuit, et s'amplifièrent doucement avant de se transformer brusquement en véritable hurlement sauvage.

Maerlyne en profita pour murmurer un sort d'urgence, et le suspendit au dernier mot : elle était prête à se rendre quasi-invisible à la moindre alerte sérieuse. Mais apparemment, elle n'avait pas été repérée, ou les créatures ne s'intéressaient pas à des proies de sa taille. La première ombre devant elle ne participait pas au concert bestial, ou elle était inaudible : à un moment, elle se redressit, puis disparut rapidement dans l'obscurité, immédiatement suivie des silhouettes proches. La nuit redevint paisible en apparence, et Maerlyne attendit longtemps avant de pousser un long soupir.

Qu'est-ce que c'était donc que ça? Des créatures rivales, qui se battent pour un territoire de chasse? Un individu exclu de sa meute, chassé par les autres alors qu'il revenait? Ou alors... je n'avais jamais vu de bête semblable, avec un tel comportement. On aurait dit qu'elle était intelligente... J'en saurais plus demain, j'irai à Noctaë me renseigner. Maintenant, retournons dormir... Et comme je suis avertie des dangers qui rôdent, ne lésinons pas sur la magie!

Maerlyne sortit de la tanière, arracha quelques brins d'herbe et revint à l'intérieur. Un sort élémentaire consuma l'herbe, lui fournissant un peu de lumière. Une incantation se fit entendre, la voix pure de la fée s'élevant dans le silence tranquille. Des pierres à l'entrée se mirent à luire doucement, et l'air sembla vibrer, brouillant les ombres que la lune permettait d'entrevoir. La fée fit retomber son bras, éteint rapidement le feu et dispersa les cendres. Désormais rassurée, elle retourna dormir, espérant que son sommeil ne serait plus dérangé, mais repensant encore et toujours aux évènements étranges de la nuit.

La nuit s'écoula sans autre incident, et le soleil était déjà haut quand Maerlyne émergea de son sommeil. Elle s'étira longuement, fit battre ses ailes un peu frippées par la roche et décida de parer au plus pressé dans sa grotte : le nettoyage!

Pendant plusieurs heures, la fée illusionniste se transforma en fée du logis, brûlant les restes de repas, dispersant les os, les boules de poil qui traînaient... mais elle était impuissante face à l'odeur de fauve persistante. Après ces rudes efforts, elle décida de s'accorder une pause pour manger et boire. Elle partit donc en direction du torrent pour se désaltérer, et fit provision de graines, fruits et champignons qu'elle entreposa dans un coin, non loin de l'anfractuosité qui lui servait de chambre, avant de se restaurer.

Voyant qu'elle avait encore du temps avant la tombée de la nuit, Maerlyne décida d'aller immédiatement à Noctaë, les évènements de la veille lui restant en mémoire. Elle inspecta les protections magiques mises en place, et visiblement satisfaite elle partit en volant, impatiente d'être en ville.

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